Olivier MICHAUX-LECAT
Olivier Michaux-Lecat est journaliste. Originaire des Ardennes, il vit à
Reims où il dirige le mensuel Immodérément.
T’as des
nouvelles ? est sa première aventure littéraire.
T'as des nouvelles ?
Nouvelles
T'as des nouvelles ? : résumé
T’as des nouvelles ?, ce sont vingt-et-une nouvelles inspirées de la
vie en milieu rural et ouvrier de la fin des années 30 jusqu’aux
premiers pas de l’homme sur la lune.
Dans ces tableaux, Olivier Michaux-Lecat nous conte la vie de gens
ordinaires, nous décrit leurs métiers, nous peint leur environnement et
nous rappelle leurs conditions de vie. À travers ces histoires, vraies,
émouvantes, il rend hommage à la bonté, dénonce la bêtise et nous invite
à nous souvenir et à méditer.
Croqués en quelques traits, nostalgiques ou féroces, les textes
d’Olivier Michaux-Lecat ont tout naturellement trouvé leur double
iconographique sous le pinceau d’Osvaldo Rodriguez.
La dualité entre l’écrit et l’œuvre picturale souligne les valeurs humanistes du propos et en fait ressortir le sens politique.
ISBN : 978-2-84859-031-8
Édition imprimée : 28.00 € (avec 21 illustrations en couleur)
Pour acheter T'as des nouvelles ?, en version imprimée ou numérique, cliquez sur le titre.
T'as des nouvelles ? : extrait
La fête foraine
Il a titubé, puis roulé dans le fossé. La musique autour de lui
retentit, les airs de musette valsent dans sa tête embuée, le blanc limé
y est certainement pour beaucoup. Venu soulager sa vessie derrière une
roulotte de forain, il a piqué du nez dans l’herbe. L’urine arrose
maintenant par saccades la jambe de son pantalon en flanelle,
tire-bouchonné dans la chute. L’alcool dresse souvent des tableaux
pitoyables.
La fête de la Saint-Jean a attiré la foule. Sur des airs de java de
l’orchestre chauffé à blanc, les robes fleuries volent dans les bras des
permissionnaires des oueds algériens venus retrouver leur promise le
temps d’une accalmie. Les anciens, col de chemise amidonné et bourgeron
lustré, calés sur leurs chaises empruntées à la paroisse, bredouillent
dans leurs babines leurs souvenirs tout en superlatifs et tirent des
plans sur la comète au sujet de la récolte de blé à venir. Leurs
moitiés, chignons aux cheveux blancs parfaitement tirés à quatre
épingles, sont réunies en grappes aux quatre coins du parquet de danse.
Certaines améliorent en paroles la recette du pot-au-feu, d’autres se
risquent à la critique du dernier patron, consciencieusement découpé
dans le Modes et Travaux mensuel pour la future toilette qui rejoindra
l’armoire en loupe d’orme héritée de la grand-mère.
La buvette en effervescence a fait le plein. Toute une faune est
attablée. L’idiot du village, comédien expérimenté auprès des services
sociaux, « engueule » bière sur bière jusqu’à plus soif. Le cantonnier
couperosé, regard malsain vissé sur les fesses féminines, lui tient le
crachoir en improvisant une discussion balbutiante et stérile ponctuée
de postillons sauvages. Le boucher, récent cocu, parle sans discontinuer
à son unique interlocuteur, une anisette accompagnée de son glaçon. La
marie-couche-toi-là du chef-lieu de canton a sorti pour l’occasion tous
ses artifices opulents et fait feu de toutes parts pour ne pas repartir
bredouille. Le ringard de service, VRP en machines agricoles et
propriétaire d’une 204 cabriolet, vient de décliner son offre. Gourmette
argentée à grosses mailles au poignet, il entame la discussion avec une
blonde légèrement vêtue, venue se rassurer sur ses charmes.
Le maire du village distribue tickets de manège aux enfants et pichets
de vin blanc aux adultes, histoire de jauger sa cote de popularité et
assurer sa réélection aux prochaines municipales. La coupe en inox passe
de main en main, le trophée de pacotille rempli de mauvais mousseux
finit d’étancher la soif des vainqueurs du concours de boules en bois de
la mi-journée.
Les gamins du village sont agglutinés contre les vitrines de la roulotte
derrière laquelle trônent les confiseries. Les pommes d’amour et autres
sucres d’orge se vendent comme des petits pains. Le manège avec ses
avions multicolores et son camion de pompiers ne désemplit pas. Le
pompon rouge virevolte au-dessus des têtes blondes. Les poussettes
bercées par les mères de famille attentionnées attendent avec la plus
jeune progéniture au pied de la caisse. Juché sur un perchoir, le
corbeau du propriétaire du manège monte la garde et ponctue d’un
croassement rauque le paiement de chaque jeton.
Un peu plus loin, des enfants dans une pêche miraculeuse brandissent au
bout de leur baguette de noisetier, faisant office de canne à pêche, des
cadeaux enveloppés de papier journal dégoulinants de sciure de bois.
Quelques chasseurs, « entre le verre et le sec », se sont rassemblés
autour du stand de tir à la carabine. Impatients de prouver leur
virilité dans des duels improvisés, rires gras et munitions en magasin,
ils lorgnent sur les peluches géantes, ours roses difformes et autres
animaux aux mensurations improbables. Une démarche calculée… les maigres
offrandes récoltées étant destinées à amadouer leurs épouses,
exaspérées par le volume d’alcool englouti au cours de la journée. Dans
un cliquetis mécanique, les pipes en plâtre montées sur une chaîne de
vélo explosent sous le regard rieur des canards en plastique perdus dans
un baquet rempli d’eau.
Les planches vermoulues de la roulotte n’ont pas résisté aux tirs
nourris et imprécis de la bande d’imbéciles armés. Un projectile, dévié
de sa trajectoire initiale, s’est logé dans la nuque de l’accordéoniste,
venu satisfaire un besoin naturel derrière le stand. La fête est finie.
Commentaires